La lettre de Noà«l de Marie-Michèle Gagon

La lettre de Noà«l de Marie-Michèle Gagon

Bonjour Maman, bonjour Papa, bonjour la gang à Lac-Etchemin!

J’imagine que tout le monde est déjà arrivé à la maison pour le réveillon tantôt. Les grands frères Olivier et Marc-Étienne, le frérot Raphaël, la soeurette Andréanne et la marraine Marie-Élaine avec leur compagnie.

Est-ce que Mégane et Quoigo vont bien? Tu parles de noms pour des chiens!

Je suis certaine que marraine Marie-Hélène a de la misère à calmer filleul Julien. Comment veux-tu ne pas être fébrile un 24 décembre au soir quand tu as 6 ans?

Il doit faire froid dehors. Papa, je gagerais que tu as fait le feu dans la maison. Je peux presque le sentir d’ici.

Je vous écris de Toblach, en Italie, juste à la frontière de l’Autriche. Je suis en pause depuis la dernière épreuve de ski alpin avant-hier, à Val-d’Isère.

On a roulé huit bonnes heures, les filles de l’équipe et moi, pour arriver ici. Alors hier, on s’est levé tard. On a chillé. J’en ai profité pour explorer le coin.

Ce matin, on a bougé un peu. Juste pour s’activer, pour éviter de rester dans nos lits. Les filles et moi, on a joué au spikeball. Vous savez, le jeu avec un mini-filet que je traîne toujours avec moi?

Je sais bien que ce n’est pas le premier Noël que je passe loin de la maison. Pensez-y, je fais ça depuis que j’ai 18 ans. J’en ai 30 aujourd’hui. J’ai l’habitude. Mais je paierais cher pour voir les yeux des enfants quand ils vont déballer leurs cadeaux tout à l’heure!

Quand j’avais leur âge, le 24 au soir, je l’attendais impatiemment. Oh! Les cadeaux! Le bonheur. Vous vous souvenez du gros catalogue Sears? On l’épluchait toute la gang dès qu’on le recevait à la maison au mois d’octobre. Chacun des cinq enfants avait sa couleur de crayon pour encercler les items qu’il voulait. On avait tellement hâte de recevoir ce qu’on avait demandé.

Je me rappelle encore du père Noël qui arrivait sur le patio . Pas de danger qu’Olivier et Marc-Étienne se retiennent un peu! Il a fallu qu’ils nous vendent la mèche, aux trois plus jeunes. « Le père Noël, c’est Papa! », qu’ils nous ont dit.

Ah, puis il y avait la bouffe!

Je me demande bien, maman, si tu as fait la recette de salade chaude et piquante de grand-maman Marie. Tu sais, celle avec des chips sur le dessus et de la viande en dessous?

C’était la grosse affaire pour tout le monde, cette recette. Un peu moins pour moi, j’avoue. Je préférais le glaçage de la bûche de Noël.

Ici, pour notre pause de Noël, on habite un condo cette année, alors on peut se faire à manger. Un peu comme l’année passée, dans le fond. Ça n’a rien à voir avec toutes les fois où on restait dans des chambres d’hôtel séparées dans le temps des fêtes.

Je me rappelle encore du premier Noël passé en Europe. On était logé dans des appartements, à Kirchberg, en Autriche. C’était notre pied-à-terre en Europe pour l’équipe nationale. On retournait là-bas entre deux courses de ski.

C’est sûr qu’on fait toujours un souper d’équipe le 24 au soir. Mais une fois retournée dans ta chambre, toute seule, là c’est plate. Je me suis rendu compte, cette fois-là, que rater Noël chez nous, c’était un gros sacrifice.

Surtout quand tu sais ce que tu manques à Lac-Etchemin. J’imaginais la neige dehors, le feu dans la cheminée, l’ambiance cosy et toute la famille réunie. Vous le savez, quand je retourne au Québec, je vais peut-être visiter seulement un ou deux frères et soeurs parce que vous êtes dispersés, vous habitez un peu partout. Mais à Noël, tout le monde est là. C’est festif.

Puis, je n’ai pas besoin de vous rappeler à quel point j’adore donner des cadeaux. :)

Au fil des Noëls passés loin de la maison, je me suis créé des habitudes.

J’ai fini par m’acheter mon ensemble de lumières et un mini sapin de bois pour décorer ma chambre, juste pour recréer une petite ambiance. On en a installé cette année dans le condo avec les filles de l’équipe. C’est cool.

On va aussi faire un échange de cadeaux avec tout le monde, les entraîneurs y compris. Comme ils sont tous européens sauf un, ils sont allés dans leurs familles ici en Europe.

Je me souviens au tout début de mes années en Coupe du monde. Notre chef d’équipe était un Canadien qui était aussi loin des siens. Avec lui, on traversait parfois le temps des fêtes comme si ça n’existait pas. On continuait de s’entraîner. Il était d'avis que c'était mieux de simplement continuer à skier, côté performance.

On a essayé différentes tactiques. Mais il y a des années où on skiait le jour de Noël, le jour d'avant. On faisait un souper le soir et un échange de cadeaux. Puis, c’était fini. On se disait : "Tant qu'à être ici, aussi bien s'entraîner."

Moi, ça ne me dérangeait pas. Vous savez à quel point j’ai toujours aimé m’entraîner. C’est sûr que Noël à la maison avec vous autres, ça me manquait, mais j'adorais l’entraînement.

Ce n’est quand même pas pour rien que j’ai quitté la maison à 12 ans pour aller à l’École du Mont-Sainte-Anne et que j’ai fait tout mon secondaire dans la région de Québec. C’était juste pour vivre ma passion à fond, le ski. Je suis allée habiter ailleurs, loin de vous autres, même si je vous adore. Une chance que je n'ai jamais été très ennuyeuse.

Dis donc, Papa, comment est ta patinoire sur le lac cette année? As-tu passé la souffleuse? L’as-tu arrosée pour notre traditionnel tournoi familial de hockey demain? Je suis certaine que nos deux joueurs étoiles, Marc-Étienne et le cousin Marc-Antoine, vont encore clencher tout le monde.

Nous ici, les filles ensemble, on devrait aller faire un tour au marché de Noël à Toblach tout à l’heure. J’avoue que l’idée de notre entraîneur de nous rassembler dans un condo, comme l’année passée, ça fait toute la différence pour moi. Ça sent plus les fêtes.

L’année passée, on était à Graz, en Autriche. Et le marché de Noël se tenait dans un château sur le haut d’une colline. On ressentait vraiment l'ambiance des fêtes.

On a aussi regardé un film de Noël ensemble, on a préparé un poulet rôti avec des marrons. Ici, il y en a partout, des marrons. Ma coéquipière Laurence St-Germain est devenue notre pro des crêpes. On a aussi fait des biscuits de Noël, avec toutes sortes de formes et de décorations.

Ils ne sont toutefois pas aussi décadents que les bûches de Noël qu’on mangeait dans le temps, hein, la gang? Vous vous rappelez, quand on réussissait à convaincre maman d’en acheter une à l’épicerie? Puis là, on se dépêchait pour être le premier à manger le bout où il y avait le plus de glaçage. Ah, que c’était bon!

Une chance que Maman, tu aimais aussi les desserts. Ça aidait un peu notre cause.

Il faut que je vous dise une chose : ce que j’aimais aussi de Noël chez nous, c’est qu’il n’y avait pas de limite. On pouvait manger à volonté. On était vraiment des petits monstres, les cinq enfants, quand maman revenait du supermarché. On mangeait tout ce qu’il y avait dans le frigo. C’est comme si on s'était retenus toute la semaine jusqu'à ce qu'elle fasse l'épicerie. On était tous en poussée de croissance!

Je suis quand même pas mal plus sage qu’avant, côté bouffe, à Noël. Vous l’avez vu il y a deux ans. Pour une des rares fois, j’étais avec vous à Lac-Etchemin pour les fêtes. C’était juste après mes blessures à un genou et à une épaule que j’avais subies quelques semaines plus tôt à Lake Louise. Une vilaine affaire qui m’a fait rater les Jeux olympiques de Pyeongchang.

J’ai été sage pour la bouffe des fêtes, mais je me suis déchaînée pour le reste! C’est comme si je voulais rattraper le temps perdu! Tu te souviens, Maman, quand tu es venue me rejoindre à Calgary pour t’occuper de moi après mon opération? Je faisais les exercices de physiothérapie pour retrouver l'amplitude de mon genou et de mon épaule. Ça me prenait toute la journée. Mais j’avais un truc pour m’aider à passer le temps : des films de Noël. Je mettais ça comme bruit de fond.

Et pour en ajouter, je m'étais acheté un chandail de Noël avec un renne au nez rouge et des lumières qui s’illuminaient. J'allais en physio, à l’Institut canadien du sport de Calgary, avec mon chandail allumé. Maman, aimais-tu ça?

Ce Noël-là à Lac-Etchemin, je pense que j’ai repris toutes les années manquées : je vous ai tous fait des cadeaux. À tout le monde. Ça, tu trouvais ça drôle, Maman! Je me suis donnée à fond : tout emballer, faire des cartes de Noël, de la musique de Noël à longueur de journée, encore des films de Noël tous les soirs.

Mais rendus au 23 au soir, on avait écoulé les classiques depuis longtemps. Les films étaient franchement rendus mauvais. Pas grave. Pour la toute première fois, j’ai pu voir la face de mon filleul Julien déballer mon cadeau de Noël : son premier vélo. C’était magique. Je pense que c’était mon plus beau cadeau à moi.

C’est le temps qui passe. C’est maintenant au tour des plus jeunes, des six petits-enfants à Lac-Etchemin, de se faire gâter par le père Noël. Juste de voir leurs yeux briller, ça n’a pas de prix.

Quand on vieillit, on aime Noël pour d’autres raisons. Ce n’est plus autant une affaire de cadeaux. Pour moi, c’est davantage le fait de me retrouver avec vous autres. D’entendre toute la soirée les blagues des trois frères. Ça, j’avoue que je m’ennuie de ça ce soir dans mon condo en Italie. Vous me faites tellement rire, les gars.

Surtout qu'on dirait que vous êtes encore plus intéressés par mon ski que quand j’étais jeune. C’est l’fun de voir que vous suivez mes courses avec beaucoup d’engouement. Je vous sens très fiers de moi, peu importe, et c’est très touchant!

Il me semble qu’avec les années, la différence d’âge entre nous diminue. Je sens moins les huit ans qui me séparent de toi, Olivier, et les quatre années d’écart avec toi, Marc-Étienne.

J’ai bien hâte de voir qui va gagner le fameux tournoi de cartes demain, chez tonton Gilles. Ce n’est quand même pas tout le monde qui peut se vanter de faire partie de la FIPA, la Fédération internationale de Passe l’as! Au fait, je me souviens plus qui a inventé ce nom-là dans la famille. Quelqu’un s’en souvient?

Je me souviens d’une chose, par contre : quand on se fait éliminer du tournoi, on doit avaler le fameux mélange d’alcools, le rince-cochon. C’est dégueulasse, non? Heureusement, je ne suis pas là souvent. :)

Je ne vous ai pas dit que Travis, mon amoureux, va venir me rejoindre pour le réveillon ce soir. Lui aussi est en pause à Innsbruck, avec l’équipe américaine de ski. C’est seulement à deux heures d’ici. C’est mieux que l’an dernier : on n’a jamais pu se voir parce que j’étais trop loin, à Graz.

La semaine prochaine, on devrait aller faire un tour chez ses parents à Lac Tahoe, en Californie, juste à temps pour le jour de l’An. On a une semaine de congé. Alors pour recharger nos batteries, on va faire du ski.

Je vous entends déjà rire de moi. Je suis certaine que vous allez me dire : « Ben oui, elle fait du ski en congé! » Mais faire du ski dans la poudreuse et faire du ski touring, c’est tellement différent! On n’a pas grandi avec ça au Québec, de la poudreuse. Puis, la connexion avec la nature en ski touring, on aime vraiment ça. J’ai l’impression d’apprécier mon sport sous toutes ses facettes.

J'ai l'impression qu’avec les filles de l'équipe de ski, je me suis créé une deuxième famille. On est vraiment proche. Je suis chanceuse. C'est plus facile de traverser ce moment de l'année loin de vous.

Puis, c'est vraiment plaisant d’avoir mon amoureux ici avec moi à Noël. C’est beaucoup plus facile d’avoir un chum qui a le même style de vie que soi. Imaginez si c’était quelqu’un du Québec? On ne pourrait jamais se voir et l’histoire d’amour ne durerait pas longtemps. Pensez-y un peu, ça va faire 12 ans que Travis et moi, on est ensemble.

Tout à l’heure, je vais faire comme d’habitude : je vais faire un Facetime pour vous souhaiter Joyeux Noël. Il va être 10 h en soirée pour moi. Ce sera le temps d’aller dormir avant mon retour en ski demain. Il va être 4 h de l’après-midi pour vous autres. Maman, tu vas répondre et tu vas me passer à toute la gang, un par un. Je vais être super contente d’avoir des nouvelles de chacun de vous.

Je sais depuis longtemps que je dois être en Europe pour Noël, que je dois faire la course de Lienz ou de Semmering le 28. J’accepte le sacrifice depuis des années.

Ça ne paraîtra pas dans mon visage, mais quand je vais parler à tout le monde, ça va me donner vraiment le goût d’être là avec vous autres, à Lac-Etchemin. Pendant un moment, j’aurai le coeur serré. Ça, c’est parce que je vous aime.

À tout à l’heure,

Votre « itinérante »,

Marie-Michèle.

Source : Radio Canada / Podium écrit par Marie-Michèle Gagnon et photos : Marie-Michèle Gagnon, Fabrice Coffrini